J’ai récemment éprouvé la nécessité de relire l’excellent livre de Cal Newport, au titre pour le moins accrocheur et interpelant : « Soyez tellement bon qu’ils ne puissent pas vous ignorer : pourquoi les compétences l’emportent sur la passion dans la quête d’un travail que vous aimez ».
Cal Newport s’est lancé dans l’écriture de ce livre (son quatrième à l’époque) alors qu’il était chercheur postdoctoral en informatique à l’Institut de technologie du Massachusetts (le célèbre « MIT ») et qu’il s’apprêtait à postuler auprès de plusieurs universités pour devenir Professeur titulaire (il est aujourd’hui Professeur émérite au sein du département d’informatique de l’université de Georgetown). À cette époque, ne se sentant pas lui-même — malgré toute son application et tous ses efforts — pleinement accompli d’un point de vue professionnel, il était devenu obsédé par la nécessité d’apporter une réponse à la question suivante :
Pourquoi certaines personnes finissent-elles par aimer ce qu’elles font alors que tant d’autres échouent dans l’atteinte de cet objectif ?
Pour répondre à cette question — en apparence simple — il a mené l’enquête durant les 9 mois qui ont précédé sa prise de poste. Outre ses différentes lectures (développement personnel, commerce, marketing, biographies, témoignages de carrières remarquables…), il s’est mis en quête des personnes de domaines et milieux très divers mais ayant toutes en commun d’avoir atteint la « félicité » et est allé à leur rencontre : agriculteur, guitariste bluegrass, scénariste de séries télévisées, chercheur en génétique, fabricant de planches de surf…
Le livre est particulièrement intéressant et je ne peux que vous encourager à le lire mais, en substance, qu’en est-il ?
TL;DR:
- Ne suivez pas votre passion.
- Soyez tellement bon qu’ils ne puissent pas vous ignorer.
- Refusez les promotions.
- Pensez petit, agissez grand.
Ne suivez pas votre passion
Newport nous apprend que, contrairement à ce que l’on peut lire et entendre depuis quelques temps, le conseil selon lequel il faut céder à l’appel de sa passion pour trouver un travail dans lequel nous nous épanouissons est, en réalité, un mauvais conseil. La raison à cela est qu’une mentalité axée sur la passion nous rend extrêmement sensibles à ce qui nous déplaît dans notre travail parce qu’elle nous fait nous demander « Qu’est-ce que le monde peut m’apporter ? ». À l’inverse, une mentalité d’artisan nous fait envisager les choses sous l’angle de « Qu’est-ce que je peux apporter au monde ? » et nous conduit ainsi à toujours vouloir progresser et nous ouvre — à termes — les portes de la satisfaction.
Soyez tellement bon qu’ils ne puissent pas vous ignorer
Le développement d’une mentalité d’artisan repose sur ce qu’on appelle la pratique délibérée. Celle-ci ne consiste pas en l’accumulation d’heures en reproduisant encore et encore ce que nous sommes capables de faire avec plus ou moins de réussite ou facilité mais bien en réalité de :
- étendre ses capacités,
- se sentir mal à l’aise,
- donner et recevoir un feedback permanent,
- faire preuve de patience.
Quel que soit le domaine (développement informatique, sport, musique, écriture, jeu d’échec, construction…), il a été démontré que 10 000 heures de pratique délibérée s’avèrent nécessaires avant de pouvoir atteindre le niveau de « maitre ». C’est par notre pratique délibérée que nous construisons notre capital de carrière.
Selon Newport, le capital de carrière n’est ni plus ni moins que la clé pour aimer ce que nous faisons. En effet, en simplifiant, on peut réduire les caractéristiques principales d’une activité « géniale » à son degré de créativité, son niveau d’impact et… au contrôle que nous en avons. Il n’y a qu’un pas à franchir pour rapprocher la notion de contrôle et celles d’autonomie et compétence, ingrédients majeurs de la théorie de l’auto-détermination (TAD) de Deci et Ryan, et comprendre alors que le contrôle est bien le moteur de notre satisfaction. Or, c’est seulement lorsque nous avons accumulé un capital de carrière suffisant que nous pouvons avoir plus de contrôle sur ce que nous faisons. CQFD.
Refusez les promotions
Attention cependant, pour aboutir dans notre quête d’un travail que nous aimons, il nous faut veiller à ne pas rechercher plus de contrôle tant que nous ne disposons pas de suffisamment de capital de carrière sur lequel nous appuyer. Un signe comme quoi le capital accumulé commence à devenir conséquent est la résistance que l’on peut se voir opposée par l’employeur, notamment sous la forme d’une promotion (!) Sachant que notre objectif intermédiaire est d’augmenter le contrôle que nous avons sur notre activité, il est alors stratégique de refuser la promotion qui nous est proposée. Notre pleine satisfaction à venir l’exige…
Maintenant, nous explique Newport, l’indicateur que nous disposons du contrôle nécessaire et que nous maîtrisons des compétences rares et ayant de la valeur est ce qu’il appelle la loi de viabilité financière :
Les gens sont prêts à payer (argent, temps ou ressources) pour ce que nous faisons, à nos conditions.
À ce stade seulement, nous sommes en situation de définir notre mission, synonyme d’un travail que nous aimons vraiment et d’une carrière enthousiasmante.
Pensez petit, agissez grand
Et c’est en explorant le possible adjacent, c.-à-d. les nouvelles combinaisons d’idées déjà existantes, les frontières de l’état actuel des choses, que notre mission peut émerger. Une mission de carrière nécessite, de ce fait, d’être à la pointe du domaine dans lequel nous évoluons et ressemble beaucoup, en cela, à une percée scientifique.
Une fois notre mission identifiée, nous avons encore besoin d’une stratégie efficace pour réussir le saut entre l’idée et la réalisation. Selon Newport, cette stratégie ne peut pas à l’évidence être de partir d’emblée sur une « grande idée » et la planification de tout le projet. Il s’agit, au contraire, de réaliser — patiemment et méthodiquement — une série de petits paris, de petits projets d’une durée de quelques mois, sur ce qui pourrait être une bonne direction. Notre but dans cette démarche est de récolter un précieux feedback, issu des nombreuses petites erreurs commises et des petites réussites cependant obtenues au gré des différentes hypothèses.
Pour finir, le but de notre quête, c.-à-d. aimer sincèrement ce que nous faisons alors que beaucoup n’y parviennent pas, ne peut être atteint que si notre projet-mission respecte la loi de la « remarquabilité ».
Un projet est remarquable lorsque les personnes qui en ont eu connaissance se sentent obligées d’en parler à d’autres personnes et qu’il a été lancé sur des canaux de communication favorisant le partage de l’information (réseaux sociaux, communautés influentes…)
En un mot, notre projet-mission, aussi innovant soit-il, a besoin d’être « marketé ».
Voici donc quelle serait la trajectoire nécessaire pour finir par aimer vraiment ce que nous faisons.
Travailler de la bonne manière est essentiel pour trouver le bon travail.
Il s’agit indéniablement d’un long, très long parcours, nécessitant énormément d’application, de patience et qui peut en décourager plus d’un.
Qu’en pensez-vous ? À quel point êtes-vous prêt à fournir cet effort ?