Ce billet est le troisième d’une série de trois billets qui s’appuient sur les notes prises à l’occasion d’événements virtuels ayant lieu dans la lignée du NextGen Enterprise Summit 2020, lui-même organisé par Holaspirit, Maif, Manpower, Octo Technology et l’ESSEC.
Michel Halet, Montée en autonomie et en efficacité des équipes pour des résultats insoupçonnés
Michel Halet, après une carrière très variée dans l’industrie, les services et le conseil, est le P.-D.G. de Partena Professional, un groupe belge de services RH autour de l’entrepreneur (lancement de l’activité professionnelle, embauche de nouveaux collaborateurs, dépôt de statut d’indépendant, calcul de cotisations, automatisation et optimisation des processus RH, optimisation de salaire, optimisation fiscale…)
La récente mission/raison d’être de Partena Professional est « entreprendre avec les entrepreneurs » et les valeurs personnelles de Michel Halet sont la confiance (les gens peuvent faire de grandes choses s’ils en ont l’occasion), la responsabilité (le corollaire de la confiance qui, sans responsabilité, serait naïve et dangereuse) et le respect (même et surtout quand les gens font des erreurs, ils méritent le respect, tant qu’ils apprennent).
L’expérience est le nom que chacun donne à ses erreurs.
Oscar Wild.
Voyons ce qui a conduit l’entreprise à se transformer.
Pourquoi se lancer dans une démarche de gouvernance collaborative ?
Partena Professional est une entreprise qui n’est pas nouvelle. En effet, elle est née il y a 75 ans, au lendemain de la seconde guerre mondiale, lors de l’instauration en Belgique d’un système de sécurité sociale et exerce depuis des métiers d’expert. Elle compte aujourd’hui 1600 collaborateurs.
Un expert est quelqu’un d’attentif à ses processus, à la minimisation des risques (pour ses clients et lui-même), à la conformité de ses recommandations. C’est quelqu’un qui explique ce qu’on peut faire ou ne peut pas faire dans un cadre donné (fiscal, juridique, financier…). Prudent et conservateur et, donc, tout sauf un entrepreneur. De plus, Partena Professional est une organisation qui est juridiquement une association sans but lucratif. De ce fait, ses experts évoluent dans une culture très sociale.
Au global, la culture de l’entreprise est marquée par beaucoup d’expertise et de bienveillance.
Or, les clients attendent, certes, de l’expertise et de la bienveillance mais aussi de l’innovation et des solutions qui ont des effets significatifs et concrets sur leurs activités. Ils n’ont pas tant besoin d’explications sur ce qu’ils ne peuvent pas faire que d’explications sur comment optimiser leur business en explorant les limites du cadre fiscal, juridique ou financier.
Cela nécessite donc un changement important et difficile pour passer d’une culture d’experts à celle d’entrepreneurs. Il y a 3 raisons à cette difficulté :
- la culture,
- la complexité,
- la rigidité.
Il est compliqué de changer la culture d’une entreprise. On peut l’améliorer et la faire évoluer en implantant de nouveaux comportements mais la changer reste un défis. Pourtant, c’est indispensable. La solution est de partir du besoin du client et des résultats qu’il attend pour organiser l’entreprise et inspirer les bons comportements auprès des collaborateurs (experts).
Le contexte est complexe à cause 1) de la digitalisation galopante 2) des particularités propres à la Belgique et 3) du métier d’expert qui s’exerce en silos d’expertise, fonctionnant les uns à côtés des autres et pas les uns avec les autres pour délivrer les résultats aux clients.
La rigidité émerge des structures pyramidales/hiérarchiques en place avec un management pléthorique et une prise de décision très descendante (top-down), sur lesquelles les sessions de formation et de coaching parviennent difficilement à avoir de l’influence dans le sens où les personnes se trouvent de nouveau happées par la « machine » une fois de retour à leur poste.
Comment réaliser le changement ?
Les premières mesures ont été prises en 2016 par essai-erreur en laissant beaucoup d’autonomie aux managers dans les différentes entités afin qu’ils redéfinissent un nouveau cadre d’autonomie des équipes. Résultat : les managers n’ont pas redéfini un nouveau cadre comme attendu mais ont juste déplacé des curseurs dans l’organisation hiérarchique et, malheureusement, sur des sujets le plus souvent anecdotiques.
À l’été 2017, le comité de Direction a lu Reinventing Organizations de Frédéric Laloux mais n’a pas été motivé à se mettre en mouvement du fait que l’ouvrage leur a paru par trop dogmatique par certains aspects et qu’il voulait absolument éviter d’ajouter de la rigidité à de la rigidité.
Alors, Partena Professional a réfléchi à une deuxième démarche consistant à créer un cadre de leadership pour transformer les comportements et en implanter de nouveaux. Celui-ci comporte 4 dimensions :
- Agir comme un entrepreneur (Act as an entrepreneur).
- Être le changement (Be the change).
- Prendre soin des gens (Care for people) → Donner et rechercher du feedback.
- Rechercher les résultats (Strive for results).
Malheureusement, cela n’a pas pleinement fonctionné à cause de la rigidité des structures.
En conséquence, une troisième approche a été imaginée et un nouveau programme a été mis en place avec l’aide d’un Directeur de programme externe et d’une dizaine de volontaires internes, venant de tous les horizons et de toutes les positions de l’entreprise : « Structure Towards Employees and Entrepreneurs » (aka « ste²p »). Tous les éléments de stratégie, toutes les études de marché, toutes les réflexions sur les clients, la raison d’être et le rôle sociétal de l’entreprise leur ont été mis à disposition. Au final, la question suivante leur a été posée :
À quoi ressemblerait, pour vous, l’entreprise idéale permettant d’atteindre nos objectifs et dérouler notre stratégie ?
En une semaine seulement, une organisation a été définie, basée sur 4 modèles de services tournant autour de 4 groupes/typologies d’attentes des clients. Ces services reposent sur des équipes autonomes multi-disciplinaires permettant à l’entreprise de fonctionner de manière transversale. Un autre mode de fonctionnement/code de gouvernance beaucoup plus participatif proposant une nouvelle forme de dialogue avec le management a été échafaudé et présenté au comité de Direction. Tout en ayant conscience que beaucoup de choses resteraient à adapter en chemin, le CoDir s’est prononcé pour cette « base », sans hésitation.
En quoi consiste le changement ?
Le programme ste²p repose sur 4 axes de transformation :
- La culture.
- La gestion des talents.
- L’organisation.
- La gouvernance.
La culture a besoin de partir du client, d’être entrepreneuriale, tournée vers le résultat, stimulante (challenging). En plus de reposer sur la bienveillance, elle doit également s’appuyer sur l’exigence, non pas en termes de qualité intrinsèque mais quant à la manière de travailler avec le client et au résultat à atteindre. Enfin, elle doit nécessairement être authentique dans le sens où elle ne peut pas s’opérer « d’un coup de baguette magique » mais plutôt sur 2,5 ans (ce qui est déjà rapide !)
La gestion des talents passe par l’adoption de nouveaux comportement, notamment pour les leaders qui doivent devenir inspirants et travailler beaucoup sur le sens et des objectifs clairs plutôt que d’imposer des objectifs en donnant la marche à suivre pour les atteindre. Elle passe aussi par l’abandon des fonctions au profit de rôles, sachant que chacun peut alors en avoir plusieurs en fonction des ses affinités et compétences.
Quand c’est bien fait, les personnes se challengent d’elles-mêmes.
Cette démarche est tout aussi valable pour le (ex-) P.-D.G. et les (anciens) Directeurs qui doivent faire un travail sur eux-mêmes pour adopter les bons comportements et bannir les vieilles habitudes managériales.
Quand la situation dérape et qu’on a de l’expérience, on a tendance à s’immiscer, à décider, à expliquer… pour gagner du temps. On gagne quelques minutes à ce moment-là mais on perd le temps du futur !
L’organisation bascule d’une organisation pyramidale/hiérarchique vers des cercles amenés à collaborer entre eux et reposant sur une code de gouvernance qui a été écrit par les représentants des collaborateurs et pas seulement le management.
La gouvernance collaborative est extrêmement cadrée par la raison d’être de l’entreprise et des différents cercles qui la compose et n’est pas « libérée » au sens où elle ne décide pas de ce qu’elle veut. En outre, elle ne s’appuie pas sur des décisions au consensus mais sur la responsabilité individuelle que chacun est encouragé/obligé de prendre en lien avec ses rôles, après sollicitation d’avis.
À quel rythme opérer le changement ?
La transition est voulue la plus courte possible pour éviter de maintenir l’organisation trop longtemps dans un entre-deux qui rend le quotidien difficile pour les managers et la gestion budgétaire plus compliquée. En septembre 2020, 250 collaborateurs avaient basculé dans le mode collaboratif. Aujourd’hui, ce sont 500 collaborateurs ont basculé et l’objectif est de compléter la bascule d’ici fin décembre 2021 et de terminer l’implémentation d’ici au printemps 2022. Il est compliqué d’imprimer un rythme plus soutenu car l’accompagnement est crucial pour la réussite de la mise en œuvre et il nécessite du temps pour s’approprier les nouveaux fonctionnements et beaucoup de répétition du pourquoi et du comment.
Quels sont les résultats du changement ?
En termes de résultat, le NPS (Net Promoter Score, taux net d’avocat de la marque/l’entreprise) de Partena Professional est passé respectivement de +1 à +26 et de 0 à +9 à l’issue des deux premières phases pilotes. S’agissant du E-NPS (le NPS pour les employés de l’entreprise), celui-ci se situe à +5 pour les employés ayant basculé en mode collaboratif contre -12 pour ceux qui ne l’ont pas encore fait.
Remarque : un bon score pour le NPS se situe entre 0 et +30 et entre -10 et -10 pour le E-NPS.